La garde du palais de la Cité interdite a effectué ses rondes pour protéger la famille impériale pendant des générations. Dans l’allée Dongtongzi, on peut encore distinguer la trace des guérites en bois qui servaient à abriter les gardes. Démolies en 1951, leurs arches incrustées dans les murs pourpres de la Cité interdite sont toujours visibles aujourd’hui.

À l’époque impériale, les portes des remparts de Pékin se fermaient à 19h00 et la circulation s’interrompait, sauf pour les privilégiés détenteurs d’un laissez-passer. Avant cette heure charnière, les dignitaires quittaient la Cité interdite située au cœur de la ville, et n’y restaient que les membres de la famille impériale et leurs domestiques qui se calfeutraient dans leurs enceintes privées. Les allées intercalaires se vidaient presque. Seule la Garde du Palais (Dànèi shìwèi 大内侍卫) y circulait. Et encore ! Les soldats ne s’éloignaient guère de leurs postes puisque leurs rondes s’opéraient sous forme de relais.

Aujourd’hui, en longeant l’allée Dongtongzi, nous voyons, sur les murs pourpres, des arches formées de briques grises. Il s’agit des vestiges de renfoncements de 65 cm à 88 cm creusés dans des parois possédant jusqu’à 3 m d’épaisseur par endroits, ces niches agrandissaient d’étroites guérites en bois construites contre les murs au XVIIe siècle.

Arches de briques sur les murs de l’allée Dongtongzi (东筒子长街) entre les Six palais de l’est (东六宫) et le Palais Ningshougong (宁寿宫) dans la Cité interdite. @Rémi Anicotte (20 février 2024)

Ces postes de garde s’appelaient duibo fang (堆拨房) en chinois et juce-i boo en mandchou. Ils servirent jusqu’au début du XXe siècle. Finalement, les vétustes structures de bois furent démolies en 1951 pour faciliter la circulation des visiteurs du Musée du Vieux Palais. Les niches encastrées furent rebouchées, et seules les arches furent préservées en témoignage de l’activité de la Garde impériale fondée en 1644 par Dorgon, le prince Rui et le régent de Shunzhi, le premier empereur mandchou à Pékin.

La sélection des gardes était sévère: ils devaient exceller à la lutte et au tir à l’arc. Un certain niveau d’éducation était requis également. Leur charge était prestigieuse mais exigeante, si proche du pouvoir central. L’histoire retient d’ailleurs qu’en 1776 l’empereur Qianlong aperçut un échiquier dans une guérite et punit ce qu’il considérait un laisser-aller inacceptable.

Trente-sept ans plus tard, en 1813, alors que l’Empereur Jiaqing, fils de Qianlong, séjournait à Chengde loin de Pékin, la Garde commit une faute encore plus grave et à peine concevable en laissant s’infiltrer une centaine d’insurgés du mouvement Tianlijiao (天理教) jusqu’à la porte Longzongmen bien à l’intérieur du Palais. Les attaquants laissèrent une flèche que l’empereur ordonna de conserver en guise d’admonestation à la Garde qui avait failli à son devoir.

Pointe de flèche datant de 1813 sur le cadre de la pancarte de la porte Longzongmen (隆宗门) dans la Cité interdite. @Rémi Anicotte (15 janvier 2022)

Plus tard encore, lors d’une nuit de l’été 1905, d’après Gu Lin (1982), des gardes surprirent un homme appelé Jia Wanhai (贾万海) qui s’était introduit dans la Salle de l’harmonie suprême (太和殿) par une fenêtre ouverte. Il y dansait et ne semblait pas avoir tous ses esprits. L’empereur Guangxu vivait certes dans les Jardins de l’ouest hors de la Cité interdite, et l’impératrice douairière Cixi séjournait probablement ce soir-là au Palais d’été à Yiheyuan, mais cette intrusion prouvait une inquiétante dégradation de la sécurité à la Cité interdite, d’autant plus que l’intrus portait sur lui deux couteaux et deux boites d’allumettes.

D’ailleurs, Jian Zhi (1996) donne la photographie d’une inscription écrite à l’encre sur le mur d’une guérite et qui peut se traduire par «À la prise de service de nuit, on distribue quarante arcs et dix flèches par arc». Il s’agit d’un extrait du règlement de la surveillance à la Cité interdite. Jian Zhi (1996) estime justement que la présence de ce texte (une réglementation supposée rester secrète) et d’autres graffitis dénotent un relâchement de la discipline au Palais au début du XXe siècle, dans les dernières années de l’Empire, avec des gardes pourtant toujours capables de lire et écrire.

Photographie du texte «交班夜点, 弓十四张, 箭壹佰分支» écrit dans une guérite de l’allée Dongtongzi. Nous choisissons de lire les trois colonnes de gauche à droite ce qui n’est pas ordinaire en chinois, mais reste possible. Le texte respecte ainsi l’ordre usuel des formulations trouvées dans les anciens traités militaires, avec l’effectif distribué exprimé en dixièmes (fēn 分).
  • Anicotte, Rémi (2022) Six chapitres d’histoire de Chine. Publication indépendante.
  • Feng, Zuozhe [冯佐哲] & Li Shangying [李尚英] (1981), «嘉庆年间紫禁城里的一场战斗» [Bataille dans la Cité interdite à l’époque de Jiaqing], in 故宫博物院院刊 [Palace Museum Journal] (Pékin), n°2 de l’année 1981, pp.40-43.
  • Fucha Jiangong [富察·建功] (2011) 晚清侍卫追忆录 [Souvenirs de la garde impériale de la fin de l’époque Qing]. Pékin: Éditions du Vieux Palais [故宫出版社].
  • Jian, Zhi [建知] (1996), «紫禁城里的堆拨» [Les niches des baraques de la garde dans les murs de la Cité interdite], in 紫禁城 [Fordidden City] (Pékin), n°3 de l’année 1996, pp.42-43.
  • Liu, Dongrui [刘东瑞] (1984), «紫禁城传筹图» [Le relais de la garde dans la Cité interdite], Cultural Relics[文物] (Pékin), n°4 de l’année 1984, pp.84-86.
  • Gu, Lin [古林] (1982), «闯撞皇宫禁地事件» [Intrusion au Palais impérial], in 紫禁城 [Fordidden City] (Pékin), n°6 de l’année 1982, pp.6-7.
  • Wan, Yi [万依] (éd.), 2016, 故宫辞典 [Dictionnaire du Vieux Palais]. Pékin : Éditions du Vieux Palais [故宫出版社], pp.566-567, 586.

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