La Grande Muraille est un ensemble de fortifications militaires qui ne constituent pas une ligne unique, mais composent une accumulation de sections généralement construites en montagne sur des lignes de crête parallèles ou sécantes. Ces lignes forment une sorte de ceinture longue d’environ 5.000 km d’est en ouest, à partir du fort Shanhaiguan (山海关) en bord de mer, jusqu’au fort Jiayuguan (嘉峪关) au Gansu. Et la position en ligne de crête rend l’ouvrage impressionnant ce qui lui confère une fonction dissuasive.

Marches de la Grande Muraille à Mutianyu. @Rémi Anicotte (1er mars 2024)
La muraille mesure en moyenne 6 à 7 m de hauteur, et 4 à 5 m de largeur. Donc, elle est visible de l’espace, mais seulement depuis une orbite basse car sa largeur est moindre que celle de deux voies d’autoroute.
Le mur était crénelé du côté nord qui faisait face à l’adversaire potentiel, les Xiongnu dans l’antiquité, puis les Mongols plus tard. Mais, à Mutianyu même le côté sud donnant sur les villages de garnisons fut crénelé. On y voit une dépense somptuaire d’une utilité défensive douteuse. D’ailleurs, l’efficacité de la Grande Muraille et son rapport coût/efficacité ont toujours semblé bien difficile à évaluer. Du coup, la politique la concernant n’a cessé d’osciller entre des renforcements à certaines époques, et un relatif abandon à d’autres. Les périodes d’abandon correspondait à des politiques conciliatrices de l’État chinois vis-à-vis des peuples de steppes. Soit il scellait des alliances matrimoniales concrétisées par l’envoi de princesses et de leurs dots sous la dynastie Han. C’est ce que montre le dessin animé Mulan 2 (mais en mélangeant un peu les époques). Aujourd’hui on parlerait d’une «aide au développement», ou d’une extorsion à peine déguisée. Soit l’État chinois payait directement un tribut, comme le gouvernement de la dynastie Song dont l’opposition disait qu’il achetait la paix au prix fort, et qui, de fait, fini annihilé, en deux étapes, d’abord par les Jürchens qui prirent le nord de la Chine où il établirent leur dynastie Jin, puis par les Mongols qui fondèrent la dynastie Yuan et conquirent la totalité du territoire.
Les sections de la muraille étaient construites avec des matériaux disponibles ou produits localement: du pisé (terre battue), des pierres (du granit à Mutianyu), des coffrages en pierres sèches (assemblées sans mortier) ou plus souvent en briques cuites (elles sont de couleur grise et généralement du format palatial, comme celles des administrations impériales). Des analyses montrèrent que le mortier utilisé contenait 3% de riz gluant ce qui accroissait sa résistance. Cette découverte constitua une surprise car l’information avait été perdue depuis le XVIIe siècle. En fait, la recherche d’éléments organiques était motivée par les légendes prétendant que la solidité du mortier était due à la présence d’os humains, voire de sang, mais de cela on ne trouva nulle trace.

Ces sections étaient ponctuées, en moyenne tous les 75 m (soit la distance de deux portées de flèche), de plate-formes carrées et hautes au moins de 15 m qui servaient à lancer des alertes avec des fumigènes et des brasiers de jour, et des torches et des brasiers de nuit. L’information étaient relayées de proche en proche jusqu’à la garnison responsable de la défense locale et jusqu’à la capitale. La vitesse de transmission atteignait 570 km/24 h sous la dynastie Han (de 202 avant J.-C. à 220 après J.-C.), et 650 km/24 h sous les Tang (de 618 à 907).
Il y avait aussi des portes permettant au troupes stationnées à l’intérieur de la Muraille de faire des tournées d’inspection de l’autre côté. Les portes servaient aussi de postes de douanes aux époques ou le commerce était autorisé entre les deux côtés.
Un code, reposant sur le nombre de fumigènes, de brasiers et/ou de torches, indiquait le point d’entrée et l’effectif approximatif des assaillants. Cependant, par temps de vent ou de pluie, la garde ne pouvait plus compter que sur des messages écrits portés par des cavaliers. Voici des fragments d’un code secret des alertes sur les fortifications datant de la dynastie Han et exhumé en 1974 au fort Jiaqu, à Juyan dans l’ouest de la Mongolie intérieure:
«Si des Xiongnu franchissent de jour à l’est du cantonnement éloigné des Trente Puits, alors une balise fumigène est hissée, et un bûcher est enflammé. De nuit, un bûcher est enflammé, et sur le fort, une torche allumée est dressée, et on les laisse brûler jusqu’au matin. Jiaqu et Tianbei relaient l’alerte telle quelle.» «Si les guetteurs aperçoivent des Xiongnu à l’extérieur de la passe, alors chaque fort hisse les balises fumigènes selon son code, mais aucun bûcher n’est embrasé. En cas de fausse alerte, les balises sont abaissées et éteintes, de plus, le commandement dépêche immédiatement un messager à cheval afin d’aviser les autorités par écrit.» «Si les Xiongnu franchissent une passe par temps de vent ou de pluie, alors il n’est pas fait recourt aux balises fumigènes, ni au feu, et on avise immédiatement par écrit en envoyant en urgence un messager à cheval.» Extrait de Fragments chinois de manuscrits chinois exhumés, pages 44-48.

La Grand Muraille est la structure architecturale ancienne la plus importante en longueur, en surface et en masse. Selon un rapport de 1990, la longueur totale des murs totalisait 6.259 km ce qui coïncidait avec la distance entre Shanhaiguan et Jiayuguan, ainsi qu’avec l’appellation traditionnelle chinoise de Grande Muraille de 10.000 lieux (wàn lǐ cháng chéng 万里长城). Mais en 2009, l’administration chinoise du patrimoine parlait d’une longueur de 8.851 km dont 6.259 km de murs, 359 km de tranchées et 2.232 km de barrières naturelles, telles des montagnes ou des rivières. Et depuis 2012, il est désormais question de 21.196 km dont une bonne part de sections détruites dont les traces au sols sont seulement discernables sur des photos satellitaires.

La Grande Muraille, abandonnée depuis le XVIIe siècle, se réduit aujourd’hui à de grosses levées de terre dans bien des régions. Mais les sections proches de Pékin sont imposantes et sont devenues d’importantes destinations touristiques, ainsi que des sites de randonnée. La Grande Muraille reste un symbole de la protection nationale que l’on voit sur l’emblème de la police, et que l’on entend dans l’hymne national intitulé Marche des volontaires (义勇军进行曲):
«Avec notre chair et de notre sang, édifions une nouvelle Grande Muraille !» (把我们的血肉,筑成我们新的长城)

La Grande Muraille dès les Royaumes Combattants:
- Du temps de la dynastie Zhou, jusqu’au IIIe siècle avant J.-C., des fortifications furent construites à la frontières nord des pays Qin, Zhao et Yan qui cherchaient à se protéger ainsi des incursions des Xiongnu, des éleveurs nomades des steppes septentrionales.
- À partir de 221 avant J.-C. (date de l’unification des Royaumes Combattants par le premier empereur Qin Shi Huang), les fortifications des trois anciens royaumes du nord furent jointes en exploitant une main d’œuvre soumise à la corvée. La littérature populaire transmit la dureté et la dangerosité de leur travail grâce à l’histoire des «Pleurs de la belle Jiang à la Grande Muraille» (Mèng Jiāng nǚ kū Chángchéng 孟姜女哭长城孟姜女哭长城). Voici un résumé de plusieurs versions qui illustrent aussi la mentalité et les mœurs d’un temps révolu:
«Peu après ses noces, le mari de la Belle Jiang fut affecté au chantier de la Grande Muraille à la passe de Shanhaiguan. La jeune épouse décida de lui apporter des vêtements d’hiver. Quand elle arriva, elle fut informée que son mari était mort de dysenterie, et que la fosse commune où il reposait se trouvait désormais sous la Grande Muraille. La Belle Jiang s’agenouilla devant la construction et pleura tant qu’on l’entendit à des lieux à la ronde, au point que même l’Empereur s’en émut, et l’accueillit dans son harem.» Extrait de Six chapitres d’histoire de Chine, page 67.

Sous la dynastie Ming (1368-1644):
- En 1368, les empereurs d’ethnie Han de la dynastie Ming conquirent l’empire qui avaient était gouverné près de quatre-vingt-dix ans par leurs prédécesseurs mongols de la dynastie Yuan. Ils décidèrent l’expulsion de toute la population sur une bande de 200 km au nord de la Grande Muraille, et ils lancèrent des rénovations et des extensions comme celles qui se voient à Mutianyu au nord de Pékin (sur la base de construction remontant aux Royaumes Combattants).
- Entre 1442 et 1468, ils ajoutèrent des sections à Yanbian au Jilin afin se protéger contre des incursion mongoles et jürchens dans le Nord-Est.
- À partir de 1554, l’empereur Jiajing décida l’édification en pisé, et sans coffrage de brique, d’une Grande Muraille Sud (Nánfāng chángchéng 南方长城) dans l’ouest du Hunan afin de contenir les Miaos que ne contrôlait pas l’État central. Cette défense militaire fut étendue par ses successeurs Ming et Qing jusqu’à s’allonger sur près de 190 km à la fin du XVIIIe siècle. Elle fut démantelée à partir de 1936. Aujourd’hui, il en reste quelques vestiges qui se visitent à proximité de Fenghuang au Hunan.
Sous la dynastie Qing (1644-1911) et à l’époque moderne:
- Abandon de la Grande Muraille septentrionale en 1644 car les empereurs mandchous de la dynastie Qing contrôlaient la Mongolie. Cependant, la Grande Muraille sud était toujours entretenue.
- Classement au patrimoine mondial de l’UNESCO en 1987. Ce classement impliqua des rénovations partielles liées à la conservation du patrimoine et au tourisme, et ce travail nécessita des recherches scientifiques sur les techniques de construction oubliées depuis le XVIIe siècle.

Références:
- Anicotte, Rémi (2020) Fragments choisis de manuscrits chinois exhumés.
- Anicotte, Rémi (2022) Six chapitres d’histoire de Chine.
[Mise à jour le 17 novembre 2025.]
