Victor Segalen (1878-1919), médecin de marine, ethnographe et archéologue français arriva en Chine 1909. Il rencontra Paul Claudel (1868-1955) à Tianjin où ce dernier était consul. Et en 1912, Victor Segalen publia à Pékin son recueil de poèmes Stèles dont nous présentons ici trois extraits.

Victor Segalen en 1904.

Éloge du jade:

« Si le Sage, faisant peu de cas de l’albâtre, vénère le pur Jade onctueux, ce n’est point que l’albâtre soit commun et l’autre rare : Sachez plutôt que le Jade est bon,

Parce qu’il est doux au toucher — mais inflexible. Qu’il est prudent : ses veines sont fines, compactes et solides.

Qu’il est juste puisqu’il a des angles et ne blesse pas. Qu’il est plein d’urbanité quand, pendu de la ceinture il se penche et touche terre.

Qu’il est musical : sa voix s’élève, prolongée jusqu’à la chute brève. Qu’il est sincère, car son éclat n’est pas voilé par ses défauts ni ses défauts par son éclat.

Comme la vertu, dans le Sage, n’a besoin d’aucune parure, le Jade seul peut décemment se présenter seul.

Son éloge est donc l’éloge même de la vertu. »

Le jade est un minéral difficile à sculpter. Pourtant les artisans et collectionneurs chinois appréciaient son touché, sa dureté, son luisant et sa translucidité. Les lettrés chinois portaient des pendentifs en jade pour marquer leur attachement aux vertus de ce matériau qui symbolisaient leurs propres idéaux.

Jade de la culture de Liangzhu, environ 3000 avant J.-C.

Cité Violette interdite :

« Elle est bâtie à l’image de Pei-king, capitale du Nord, sous un climat chaud à l’extrême ou plus froid que l’extrême froid.

À l’entour, les maisons des marchands, l’hôtellerie ouverte à tout le monde avec ses lits de passage, ses mangeoires et ses fumiers.

En retrait, l’enceinte hautaine, la Conquérante aux âpres remparts, aux redans, aux châteaux d’angles pour mes bons défenseurs.

Au milieu, cette muraille rouge, réservant au petit nombre son carré d’amitié parfaite.

Mais, centrale, souterraine et supérieure, pleine de palais, de lotus, d’eaux-mortes, d’eunuques & de porcelaines, —est ma Cité Violette interdite. »

« Cité violette interdite» ou «Cité pourpre interdite» est la traduction complète du nom chinois zǐ jīn chéng 紫禁城 de la Cité interdite: le Dictionnaire Ricci propose les deux traductions pour 紫. Pourtant, habituellement, le nom français passe sous silence cette couleur qui est celle de la zone du ciel autour de l’étoile polaire dans la cartographie céleste de la Chine ancienne. Sa présence dans le nom du complexe palatial du Fils du Ciel souligne qu’il fut construit sur un axe nord-sud l’inscrivant dans l’ordre cosmique.

Les astres tournant autour de l’étoile polaire au-dessus de la porte Wumen (Porte du Midi ou Porte du Méridien) de la Cité interdite.

Extrait d’Hymne au dragon couché :

« Le Dragon couché : le ciel vide, la terre lourde, les nuées troubles ; soleil et lune étouffant leur lumière : le peuple porte le sceau d’un hiver qu’on n’explique pas.

Le Dragon bouge : le brouillard aussitôt crève et le jour croît. Une rosée nourrissante remplit la faim. On s’extasie comme à l’orée d’un printemps inespérable.

Le Dragon s’ébroue et prend son vol : à Lui l’horizon rouge, sa bannière ; le vent en avant-garde et la pluie drue pour escorte. Riez d’espoir sous la crépitation de son fouet lancinant : l’éclair. »

« Le Dragon » traduit le mot chinois lóng 龙, un animal mythologique associé à l’eau et symbole de l’empereur. Il est le maître des pluies, des étangs, des rivières, des fleuves et des mers.

Dragon central sur le mur des neuf dragons de la Cité interdite.

Sources:


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