Antérieurement à l’invention de la réfrigération qui génère du froid activement, la glace était un produit de luxe en été, car elle n’était disponible que pour ceux qui disposaient des moyens de se la procurer en hiver et de la conserver au-delà que la saison froide.


Des passages de textes chinois remontant à la dynastie Zhou (– 1045 à – 256) mentionnent des dépôts de glaces sans toutefois les décrire. Ils nous apprennent en revanche que la glace servait à maintenir au frais les récipients contenant les viandes sacrificielles afin de les garder en bon état même par temps chaud. Elle était également utilisée dans les morgues où les défunts étaient gardés jusqu’à la date de leur inhumation. De surcroît, elle rendait possible le refroidissement des alcools de riz et des jus de fruits que les consommateurs appréciaient boire frais.
La Grèce et la Rome antiques utilisaient la glace et la neige pour refroidir le vin ou certains mets, mais en revanche pas pour la conservation des aliments.
Bien plus tard, à l’époque de la dynastie Yuan (1271-1368), Marco Polo observa en Chine la confection de lait gelé, il en aurait rapporté l’idée en Italie, ce qui pourrait être à l’origine du gelato. Cette conjecture est cependant difficile à prouver, d’autant plus que les crèmes glacées et les sorbets européens ne sont pas attestés au temps du retour de Marco Polo, mais plutôt deux siècles plus tard.

Notons par ailleurs que, contrairement à nos glaçons, la glace naturelle restaient à l’extérieur des contenants des boissons ou des aliments car l’eau qui la composait n’était généralement pas potable. Pour faire des sorbets, il fallait donc geler de l’eau propre aromatisée en plaçant son contenant dans de la glace naturelle.

Sous la dynastie Tang (618 à 907), la glace était aux mains de commerçants appelés bīng shāng (冰商). C’était encore le cas dans certaines régions de Chine en 1712, puisque, dans une lettre datée du 1er septembre de cette année-là, le père jésuite Claude Jacquemin, en poste sur l’île Chongming à l’embouchure du Yangtsé, rapporta que des marchands de poissons achetaient la glace dans des dépôts remplis en hiver.
Mais à Pékin, sous les dynasties Ming (1368-1644) et Qing (1644-1911), le stockage et la distribution de la glace relevaient d’un privilège impérial. Des blocs de glace étaient découpés dans les douves, les canaux et les lacs gelés pendant les jours les plus froids de l’année, généralement en janvier, trois à quatre semaines après le solstice d’hiver. Puis ils étaient entreposés dans dix-huit caves en briques réparties sur quatre localisations: une hors des murs à l’extérieur de la porte Deshengmen, deux à l’est du lac Beihai dans la ville impériale, et la dernière au sein de la Cité interdite. La capacité de l’ensemble des caves permettait d’entreposage de plus de 200.000 blocs de glace d’environ 80 kg chacun.

La chaleur estivale était venue, les réservoirs de glace approvisionnaient les palais et les administrations où les blocs de glace assuraient la climatisation des lieux de vie et de travail.
La glace était aussi destinée aux cuisines divines (shén chú 神厨). Ces dernières dépendaient des temples où s’effectuaient les offrandes des trois viandes (sān shēng 三牲, i.e. du porc, du mouton et du bœuf) prescrites depuis le temps de la dynastie Zhou et qui restaient une composante essentielle des rituels civils célébrant la légitimité de l’Empereur. Aujourd’hui, nous pouvons visiter les bâtiments de la cuisine rituelle du Hall des récoltes «Qí nián diàn» (祈年殿) dans l’actuel parc du Temple du Ciel.

L’empire s’effondra en 1911, et les caves à glaces furent privatisées dans les années 1910 sous la République de Chine. Elles se virent collectivisées dans les années 1950 sous la République populaire, et continuèrent à fonctionner jusqu’à la fin des années 1970 quand on les jugea moins rentables que les systèmes de réfrigération active.
Effectuons une visite virtuelle des vestiges des réservoirs à glaces impériaux de Pékin.
Les anciennes glacières à l’est du lac Beihai:
La plupart des caves de la rue du «bassin de neige» (Xuě chí hútong 雪池胡同), située entre le lac Beihai et la Colline du charbon, furent détruites. Les vestiges subsistant montrent les grosses briques et quelques tuiles vernies qui étaient l’apanage des palais et des administrations impériales.


Toujours à l’est du lac Beihai, la Cinquième allée de la rue Gongjian abritait aussi des glacières. Une cave fut préservée et elle est aujourd’hui accessible à la clientèle du Patio des glacières impériales (皇家冰窖小院), un restaurant de cuisine pékinoise ouvert (au rez-de-chaussée) en 2015.

Les anciennes glacières dans la Cité interdite:
Dans l’aile ouest de la Cité interdite, s’alignent les bâtiments bas d’anciennes glacières qui étaient autant de caves. En 2017, l’une d’elles fut aménagée en Restaurant des glacières du Vieux palais (故宫冰窖餐厅) avec une salle au fond de la cave accessible par un escalier, et une autre salle placée sur une plate-forme montée au niveau du seuil d’entrée.


Références:
- Anicotte, Rémi (2022), Six chapitres d’histoire de Chine. Publication indépendante.
- Yuan, Bo [远波] (2004) «Les glacières impériales: caves et caisses portatives» [皇家冰窖与冰箱], in Forbidden City [紫禁城], n°4 de l’année 2004, pp.75-81.
- Zhou, Jinsi [周劲思] (2017) «Les glacières portatives et les caves à glaces royales de l’époque Qing» [清代的冰箱与王府冰窖], in Forbidden City [紫禁城], n°2 de l’année 2017, pp.138-149.
Pour aller plus loin:
- ‘Ada Acovitsióti-Hameau (2018), «La glace à rafraîchir. Acquisition, consommation et implications socio-culturelles». In Jan Borm & Daniel Chartier (dir.), Le Froid, Adaptation, production, effets, représentations (Presses de l’Université du Québec), pp.107-130.
- Elise Gruau & Agnès Cathou (2023), «Ravitailler la ville, hier et demain, Épisode 2/4 : Conserver : le frais dans tous ses états», France Culture (57 min).
[Mise à jour le 26 septembre 2024]
