À l’époque impériale, les toits des édifices non impériaux étaient couverts de tuiles non vernies grises de la même teinte que les briques grises qui caractérisent le vieux Pékin.

Les tuiles vernies (c’est-à-dire émaillées avec une glaçure vitrifiée) étaient l’apanage des palais, et des établissements directement patronnés par l’État comme les administrations et certains temples.

Toit couvert de tuiles jaunes dans la Cité interdite. Sur l’arête basse du toit se voient des briques avec un disque portant un dragon impérial au bout. Elles sont clouées à l’élément sous elles. La pointe des clous est camouflée par un cache rond ou laissée à nu. @Rémi Anicotte (5 novembre 2019) Photographie prise des remparts sud-est.

Le jaune était la couleur la plus prestigieuse qui décorait la Cité interdite, demeure de l’empereur, les mausolées des souverains défunts, les kiosques protégeant des stèles impériales, certains temples, etc. Le noir était dévolu aux administrations et aux bibliothèques, et à certains temples. Le vert recouvrait beaucoup de lieux de cultes, ainsi que les palais princiers. Enfin, au XVIIIe siècle, l’empereur Qianlong lança maintes rénovations où il introduisit un bleu foncé (produit avec du lapis-lazuli), dénotant un choix esthétique s’écartant des codes anciens. D’ailleurs, les palais du Jehol au XVIIIe siècle, conçus par les empereurs Kangxi et Qianlong qui firent de Chengde leur capitale estivale, instaurèrent également une rupture en abandonnant les tuiles vernies pour les palais, leur donnant un style champêtre.

Tuiles vernies jaunes et vertes luisantes sous la pluie dans la Cité interdite. Photographie prise dans la cour entre les salles Yangxingdian (养性殿) et Leshoutang (乐寿堂). On voit un mur latéral fait de briques grises. @Rémi Anicotte (25 mai 2024)
Tuiles noires, et vertes en bordures, sur la toit de la bibliothèque Wenyuange (文渊阁) dans la Cité interdite Le mur latéral est en briques grises. @Rémi Anicotte (10 janvier 2024)

Au XIVe siècle, les commandes d’État de tuiles vernies (liuli wa 琉璃瓦) et de briques vernies (liuli zhuan 琉璃砖) étaient adressées aux fours installés dans l’actuelle rue Liulichang (琉璃厂大街) où le terme chang (厂) signifie fabrique. Mais, au XVIIIe siècle sous le règne de l’empereur Qianlong, la production fut déplacée au village Liuliqucun (琉璃渠村) à Mentougou où des fours étaient déjà implantés de longue date, à proximité de gisements d’argile de la rivière Yongding. L’architecture de Liuliqucun est typique des bourgades de montagne de l’ouest de Pékin avec des bâtiments en pierre et des toits souvent couverts d’ardoise. Un comble pour des producteurs de tuiles !

Fours en briques rouges reconvertis en salles de restaurant à l’ancienne fabrique de tuiles et briques vernies de Mentougou. @Rémi Anicotte (9 juin 2024)

Puis, dans les années 2010, les industries polluantes furent chassées hors de la commune de Pékin et le site de Liuliqucun devint une friche vite réhabilitée en centre culturel, le Jinyu Coloured Glaze (金隅琉璃文化创意产业园) ouvert au public en 2019 en association avec l’école School of Future Design attachée à Beijing Normal University.

Tuiles vernies suspendues au café One Step Garden (一尺花园) à l’ancienne fabrique de tuiles et briques vernies de Mentougou. On observe le jaune, le vert, le noir, le bleu clair, et le bleu profond de Qianlong. @Rémi Anicotte (9 juin 2024)

Aujourd’hui, l’entretien du patrimoine requiert toujours des tuiles vernies dont la production s’opère désormais loin de Pékin, dans des fours électriques qui dégagent moins de fumées que les anciens fours à charbon. Les grandes lignes des procédés de fabrication sont bien connues, même si le détail des étapes permettant d’obtenir une qualité digne des toits de la Cité interdite reste un secret bien gardé.

Élément de décoration d’un toit verni en vert à l’entrepôt de la société Beijing Tong Construction Materials à Changping. @Rémi Anicotte (9 juin 2024)

Pour produire des briques, l’argile crue est moulée pour lui faire prendre la forme désirée. Puis elle est cuite entre 1100°C et 1500°C donnant une matière dure et lisse. Lors de cette cuisson, si l’oxydation des sels de fer n’est pas contrôlée, on obtient une terre cuite rouge qui est celle des briques à occidentale qui devinrent à la mode en Chine vers la fin de l’Empire comme une marque de modernité. Cependant, la production traditionnelle chinoise favorise la réduction (la réaction chimique inverse de l’oxydation) en faisant couler de l’eau dans le four ou en saturant l’atmosphère du four en monoxyde de carbone (qui est le résultat d’une combustion incomplète du charbon), produisant les briques et tuiles grises que l’on voit encore dans les ruelles de Pékin. En fait, il est difficile de dire si la réduction s’opère lors d’une deuxième cuisson ou s’il elle constitue une étape d’une cuisson unique des briques, ces questions relèvent des astuces de fabrication qui ne se divulguent pas.

Pour confectionner des tuiles ou des briques vernies, la première cuisson s’effectue à 900°C, donnant un biscuit blanchâtre et poreux pour sur lequel la pâte glaçurante tient parfaitement.

Tuiles vernies vertes, recto verni et verso non verni, à l’entrepôt de la société Beijing Tong Construction Materials à Changping. Il s’agit des tuiles placées en dernière position en bas d’une rangée, leur bout est fermé par un disque décoré avec un dragon impérial et le dessus est percé pour laisser passer un clou. @Rémi Anicotte (9 juin 2024)

La pâte glaçurante appliquée sur la surface à vitrifier est élaborée à base de silicates (comme le verre) et de sels minéraux colorants, sa composition dépend donc de la couleur recherchée. Finalement, on opère une nouvelle cuisson entre 700°C et 980°C selon les composants et l’effet recherché, en tout cas à une température plus basse que la cuisson produisant la céramique sans glaçure.

Tuiles vernies dans la cour de l’entrepôt à Changping de la société Beijing Tong Construction Materials. Le bleu foncé au centre est une restitution sans lapis-lazuli du bleu de Qianlong à côté du bleu clair ancien. Le mur de l’entrepôt est en briques rouges. @Rémi Anicotte (9 juin 2024)
Stock et tuiles vernies dans la cour de l’entrepôt localisé à Changping de la société Beijing Tong Construction Materials. @Rémi Anicotte (9 juin 2024)

[Mise à jour le 27 août 2024]


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Une réponse à « Les tuiles et briques vernies »

  1. Avatar de mariepean
    mariepean

    Quelles tuiles !

    Merci pour cette page et pour toutes les précédentes.

    Margot

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